soufisme - Tariqa Qadiriya Boutchichiya
soufisme - citations : Coran, Hadiths, maîtres soufis

La Voie

 

Cette Voie se nomme la Voie Qadiriya Boutchichiya, du nom de son Guide actuel Sidi Hamza al Qâdiri al Boudchichi. Une chaîne initiatique ininterrompue relie nécessairement tout Guide soufi authentique au Prophète de l'islam. Sidi Hamza est à la fois un descendant en ligne directe et un héritier spirituel de Moulay Abd al Qâdir al Jîlanî, maître soufi qui vécut à Bagdad au 12éme siècle. Sans vouloir nous étendre sur le détail de cette chaîne initiatique, il est important d'indiquer ici que celle-ci est clairement établie. Nous nous contenterons donc de présenter les deux précédents Guides de cette Voie, Sidi Abû Madyan et Sidi Hajj Abbas.

Nous avons vu que l'essence d'une voie initiatique réside dans le secret spirituel qui est déposé par Dieu dans le coeur du Cheikh. C'est ce sirr qui va faire la différence entre une voie dite de bénédictions, et une voie du secret spirituel. Car si le fait d'invoquer Dieu et de chercher à multiplier les bonnes actions est toujours une bonne chose, seul le secret spirituel d'un Guide vivant peut réellement transformer notre être de l'intérieur, en éveillant cette faculté de perception spirituelle qui existe en chacun de nous. Nous pouvons toujours nous interdire de commettre certaines actions, mais la véritable guérison sera de ne plus en avoir envie. Cela ne relève pas de la volonté individuelle, mais d'une transformation intérieure. Le secret, qui rend cette Voie pleinement vivante et opérative, n'a pas toujours été présent dans la famille de Sidi Hamza. En effet, au cours des siècles, la voie de ses ancêtres était devenue, comme tant d'autres, une voie de bénédictions.

Sidi Hamza nous raconte comment son propre Guide, Sidi Abû Madyan, a été amené à se mettre en quête du secret divin : « Sidi Abû Madyan s'était contenté, pendant de nombreuses années, d'une pratique de culte, certes fort intense, mais qui restait sur le plan extérieur. Il appartenait à une lignée prestigieuse de saints et de fondateurs de zaouia [lieux de réunion des soufis]. Il était de plus chérif, [c'est-à-dire] descendant du Prophète. Il pensait donc qu'il n'avait qu'à s'en tenir à cette voie des anciens, qu'il n'avait pas à chercher ailleurs. Il avait pris l'habitude cependant de rendre assez périodiquement visite à des foqqara Darqâwâ de la région de la zaouia de Sîdi al-Habrî.. Il ne pensait pas trouver un quelconque enseignement chez eux, mais il était touché par leur hospitalité, et la générosité de leur accueil. Il les a fréquentés ainsi pendant de nombreuses années. La plupart d'entre eux étaient des illettrés, mais il devenait néanmoins de plus en plus attentif à leurs conversations, qui contenaient des sens si subtils concernant la Réalité de l'Être. Un jour, il prit soudainement conscience du sommeil dans lequel il était enveloppé. Ces gens, se dit-il, sont arrivés à de telles hauteurs de spiritualité, alors que nous sommes plongés dans une complète inconscience. A partir de ce moment, il eut l'impression qu'un feu s'était allumé en lui. Il n'avait plus de cesse que de trouver un Maître de la Voie qui puisse l'instruire dans cette connaissance, l'introduire dans ce "pays" où se révélait la "Réalité", la Vérité de l'Être. Il a longtemps cherché. Il ne lui arrivait pas de penser qu'un tel homme pouvait porter en lui une telle sagesse sans qu'il ne cherche à se mettre spontanément à son service, ne prêtant aucune attention au prestige social et spirituel dont il jouissait, par lui-même et par sa famille. Une seule chose lui importait : s'approcher de la Vérité ».

Dans sa quête du secret spirituel, Sidi Abû Madyan rencontra un certain nombre de maîtres, et chacun lui transmit ce qui lui était destiné.. Au fil des rencontres et des expériences spirituelles, l'aboutissement de sa recherche fut couronné par l'acquisition du plein accès au secret spirituel (sirr), et par l'autorisation (idhn) d'en transmettre l'initiation. Il effectua alors la synthèse de ces enseignements, et put revivifier la voie Qadiriya Boutchichiya de ses ancêtres pour en faire une voie vivante activée par le sirr. Sidi Abû Madyan était quelqu'un qui n'avait pas d'inclination pour la multitude. Si certains se regroupaient autour de lui, tous n'en tiraient pas le bénéfice spirituel escompté. Il avait coutume de dire : « une poignée d'abeilles vaut mieux qu'un essaim de mouches », et il expliquait : « Ce cher secret, j'ai peiné pour lui, et je ne le donnerai qu'à ceux qui le méritent vraiment ».

De son coté Sidi Hajj Abbas, le père de Sidi Hamza, entama sa quête par une rencontre avec un majdhûb (littéralement : ravi en Dieu) d'Oujda. Ce type de personnage est réputé avoir été ravi en Dieu, sans que l'ensemble de son être ne soit concerné par cette réalisation. C'est à dire que leur coeur est plongé dans la présence divine, mais qu'ils sont incapables d'établir un lien cohérent entre cette perception et la vie en ce monde. Complètement inadaptés à la vie en société, ils sont généralement considérés comme des fous, mais en même temps respectés et même craints pour les vérités qui peuvent à tout moment, et sans retenue, sortir de leur bouche. Le majdhûb dont il est question ici n'adressait la parole à personne. Certains passants, convaincus qu'il s'agissait d'un mendiant, lui donnaient de l'argent, qu'il refusait. Sidi Hajj Abbas, consumé par une soif spirituelle intense, et ne sachant à qui s'adresser pour la satisfaire, s'approcha du personnage sans savoir comment l'aborder, jusqu'au moment où le majdhûb finit par l'interpeller :

- « Que veux-tu de moi ? »

- « J'aimerais recevoir un dhikr [invocation] », lui dit Sidi Hajj Abbas.

- « Pourquoi ? Tu veux devenir fou ? », lui demanda le majdhûb d'un air provocateur.

- « N'est-il pas déjà fou, celui qui est dominé par son moi ? » lui répondit Sidi Hajj Abbas..

Le majdhûb se mit à rire et lui donna ce conseil : « Ecoute ! Retourne d'où tu viens, entre dans ta maison, ne t'occupe de rien, ne cherche personne. Le moment venu, celui qui doit te guider viendra frapper à ta porte& ».

Et ceci se produisit effectivement trente cinq ans plus tard, lorsque Sidi Abû Madyan se présenta chez lui en compagnie d'autres disciples. Pendant tout ce temps, Sidi Hajj Abbas avait gardé confiance. Loin d'être perdues, ces années avaient été pour lui un temps de dépouillement et de purification, qui lui permit de profiter pleinement du secret spirituel lorsque Sidi Abû Madyan le lui transmit. Voici comment Sidi Hamza décrit la relation qui s'établit entre Sidi Hajj Abbas et son Guide : « Mon père s'était entièrement mis au service de Sidi Abû Madyan. Certaines personnes ont du mal à se mettre au service des autres. Même parmi les foqqara, il en est qui trouvent cela très lourd à supporter. Mais s'ils font l'effort de le faire tout de même, ils pourront se libérer des liens qui attachent leurs âmes. Mon père était considéré dans la région où nous vivions comme un grand notable. Ceux qui le connaissaient ne pouvaient imaginer qu'un homme comme lui puisse se lever et servir les autres. Quand il était devenu le disciple de Sidi Abû Madyan, celui-ci lui demandait de se lever et de servir le thé aux autres foqqara. Et mon père se précipitait pour s'exécuter. Beaucoup de gens présents disaient : « Qu'est-ce donc que cet esclavagisme ? Regardez un peu ce qu'il lui fait faire ! ». Au moment où mon père allait prendre les plateaux contenant les verres, Sidi Abû Madyan se tournait alors vers les gens qui pensaient ainsi et leur disait : « Savez-vous pourquoi je fais cela ? C'est pour l'éduquer et le libérer de son ego. Il n'y a rien qui puisse libérer des vices et des défauts de l'ego comme l'éducation spirituelle. Chacun se raccroche aux attributs qui lui sont propres : le savant se croit supérieur à tout le monde par son savoir, l'homme riche tire sa gloire de sa richesse, et ils restent ainsi, avec leurs maladies. Seule l'éducation spirituelle peut les aider à s'en libérer ». Au temps de Sidi Abû Madyan, il y avait un certain nombre de foqqara qui s'adonnaient à la pratique du dhikr. Quant à mon père, il invoquait certes beaucoup, mais il se caractérisait surtout par sa grande générosité. Il satisfaisait le moindre des désirs du Maître et de ses disciples, s'efforçant même d'anticiper leurs besoins. C'est cette grande générosité qui lui a fait hériter du sirr  ».

Sidi Hamza quant à lui est né en 1922 à Maddagh, petite bourgade de l'Est marocain. Conformément au système éducatif traditionnel en vigueur au Maroc, sa scolarité islamique dura entre 16 et 17 années, durée requise pour acquérir l'ensemble des sciences livresques. Très tôt, il montra les signes de la sainteté. Il raconte : « Sidi Abû Madyan s'était pris d'une réelle affection pour moi. Il lui arrivait parfois de venir frapper à ma porte, juste pour me voir quelques instants et repartir. De temps en temps, il faisait allusion à ce que devait être « mon époque » et sur le rôle spirituel que je devrais y assumer. Ces annonces de la fonction spirituelle qui devait être la mienne venaient de plusieurs personnes, des gens de Dieu que nous connaissions à l'époque ».

En 1942, Sidi Hamza que son père avait précédé d'un mois prend le pacte de Sidi Abû Madyan. Il n'est alors âgé que de dix-neuf ans : «  1942, nous dit Sidi Hamza, est l'année au cours de laquelle mon père et moi avons pris Sidi Abû Madyan comme Maître spirituel. Mon père m'a devancé d'un mois dans la pratique de l'éducation spirituelle. Durant les quatorze années où nous sommes restés près de notre Maître, nous nous sommes consacrés aux actes de dévotion, principalement à la lecture du Coran et à l'invocation (dhikr). Nous avons ainsi, en compagnie de Sidi Abû Madyan, traversé les différentes étapes de la Voie spirituelle. Par moment, il nous parlait d'événements à venir qui lui apparaissaient par l'effet du dévoilement ».

A la mort de Sidi Abû Madyan en 1955, personne ne savait qui allait lui succéder. En réalité, il avait clairement désigné Sidi Hajj Abbas comme l'héritier du secret spirituel, mais celui-ci ne l'avait dit à personne, et sa nature l'inclinait à se contenter de poursuivre son travail spirituel en silence. Il désirait également prendre le temps de se préparer à cette responsabilité, et ressentait une grande peur de ne pas être à la hauteur. Voici ce qu'il nous dit : « Je suis resté ainsi silencieux pendant près de cinq années après sa mort, et je ne voyais en moi aucune aptitude à éduquer. Je ne voyais pas en moi cette confiance que lui avait vue en moi. Au contraire, je me voyais comme étant le plus faible de ses disciples et le plus nécessiteux de miséricorde et de grâce. Mais c'est Dieu qui a voulu les choses ainsi. Le serviteur de Dieu doit savoir que la volonté divine est plus forte que sa volonté, et qu'une autre force que la sienne le guide. Une des raisons qui m'ont obligé à réagir et à prendre mes responsabilités en 1960 tient au fait que, lors d'une réunion de dhikr, je fus le témoin de choses qui n'auraient pas eu lieu si Sidi Abû Madyan avait été encore en vie. A ce moment, j'ai senti pleinement la responsabilité que je devais assumer et j'ai compris que j'allais être jugé devant Dieu pour tout ce qui relevait du domaine de l'éducation spirituelle, car j'avais jusque là toléré certaines choses sans tenter de les corriger. J'ai alors accepté d'autoriser la pratique du dhikr et de faire connaître ensuite le testament spirituel de Sidi Abû Madyan ».

Plus tard, Sidi Hajj Abbas confirmera également le transfert du secret spirituel à Sidi Hamza, et la forme particulière que prendra la Voie Boudchichiyya  : ce sera, selon ses propres termes, « une voie des états spirituels, de la science, et du renouveau  ». Avec Sidi Hajj Abbas, un changement de méthode s'opère dans l'éducation spirituelle, qui sera confirmé par Sidi Hamza lorsqu'il prendra la direction de la confrérie en 1972 : on passe d'une Voie où dominent les aspects de rigueur et de majesté, à une Voie qui met en valeur les aspects de douceur et de beauté. Voici comment il explique cette évolution : « Dieu a eu pitié de vous et de nous, et nous n'avons pas été obligés de faire comme les anciens disciples dont les volontés étaient fortes, et dont les efforts épuisants avaient pour seul objectif la victoire sur leur ego. Dieu connaît nos faiblesses, et la multitude de nos préoccupations dans cette époque. Il nous a accordé la grâce de tout résumer dans le dhikr et d'exceller dans les prières, car le fait de pratiquer beaucoup de dhikr, d'accomplir tous ses devoirs religieux et de s'arrêter aux limites prescrites par la loi religieuse aide à purifier le coeur, à vaincre le despotisme de l'ego et à enlever son voile. C'est ce que Sidi Abû Madyan nous avait conseillé (Que la grâce de Dieu soit sur lui). Une fois, il m'avait vu en train de peiner et de faire plus que ce que je pouvais. Il me l'interdit en disant : « Nous sommes entrés par la porte de la Majesté et nous nous sommes fatigués, tu es entré par la porte de la Grâce et de la Beauté, alors ne t'arrête pas ». Ainsi étaient les choses. On a laissé de côté le chemin de la force et de l'isolement, et on l'a remplacé par le chemin du dhikr et de la réunion. Tout s'est très bien passé, grâce à Dieu. En très peu de temps, cette Voie de Dieu a illuminé le coeur des disciples, qui ont eu une intention droite et des objectifs nobles : ils n'ont pas terni leurs intentions par des intérêts personnels ou des objectifs mondains ».

En fait, les trois phases du parcours spirituel, souvent décrites par les maîtres soufis, restent les mêmes : dépouillement, embellissement et dévoilement. Le renouvellement qui est opéré consiste en ce que l'ordre de ces étapes est modifié. Dans cette Voie, l'embellissement survient dès les débuts, et c'est lui qui incite le disciple à se dépouiller. Au lieu d'exiger un certain niveau de purification préalable pour accepter les disciples, le Guide les prend tels qu'ils sont, et leur donne à goûter l'intense saveur du secret spirituel. A partir de là, un cheminement intérieur se déclenche, qui pousse le disciple à se dépouiller afin de recevoir encore davantage. Le coeur du disciple peut ainsi être comparé à une pièce sombre et en désordre : la première des choses à faire, avant de penser à remettre de l'ordre dans cette pièce, c'est de l'illuminer. La prise de conscience spirituelle qui en découle prédispose le disciple à un travail de purification, qu'il entamera de lui-même et à son propre rythme.

Ce changement de méthode s'inscrit bien évidemment dans la continuité du secret spirituel. D'ailleurs, Sidi Hamza prend souvent l'exemple du temps de Sidi Abû Madyan, par exemple lorsqu'il nous parle de l'éducation spirituelle : « En son temps, Sidi Abû Madyan interdisait toute lecture sur le soufisme à ses disciples, sauf les Hikam [Recueil de sapiences écrit par Ibn Ata Allah]. Il est préférable de faire directement l'expérience des choses plutôt que d'en avoir une idée préconçue, qui pourrait même constituer un voile. La vraie connaissance ne s'obtient que quand on la demande vraiment, avec humilité. La démarche pour cheminer vers elle est comparable à celle d'une personne qui veut boire de l'eau d'un ruisseau : elle doit se baisser jusqu'au ruisseau pour boire. L'eau est toujours située dans le lieu le plus bas d'un endroit. Il nous faut être comme l'eau. Celui qui se base uniquement sur les écrits des maîtres soufis ne fait que suivre leurs djellabas|vêtements].. Les méthodes appropriées de l'enseignement varient en fonction des conditions de l'époque, et seul le Maître vivant détient les clés de la progression initiatique. La vraie science vous viendra de l'intérieur, de votre coeur. Une « science de chez nous », comme l'indique Dieu dans le Coran, une science divine. »